Mon travail comprend plusieurs aspects : dessins, peinture et installations qui utilisent les surfaces, les volumes et les matériaux empruntés à l’art contemporain (sculpture et peinture).

D’un point de vue tout d’abord visuel l’impression est celle d’une chorégraphie de signes abstraits et semi figuratifs que j’aurais jetés sur une toile, du papier ou d’autres matériaux, dans un espace bi- ou tridimensionnel. D’un point de vue interprétatif, ces signes parlent de mémoire, d’identité, de l’apparence, de l’effacement, du temps divisé…


Le premier type de conscience visuelle est celui du contour (dans l’art préhistorique, ou celui, plus naïf, des enfants à partir de trois ans). Là, l’homme réalise la frontière extérieure de l’objet, il prend conscience de la forme et la décrit grâce à la ligne, au contour.

La Renaissance, qui a eu une influence capitale dans la mise en forme conventionnelle de toute la peinture européenne, a limité la notion de contour à ce que l’on pouvait voir d’un seul et unique point de vue.

Les cubistes, à leur tour, ont ignoré cette limitation, comme s’ils savaient que le contour artistique ou poétique d’un objet n’a pas besoin d’être identique avec la frontière actuelle de sa manifestation physique.


En réalité, l’œil ne peut pas enregistrer une image optique complète d’un objet tridimensionnel à partir d’un seul et unique point de vue. L’esprit humain doit, pour appréhender un objet tridimensionnel dans sa totalité, dépasser l’information obtenue à partir d’un quelconque angle spécifique. Heureusement, l’expérience visuelle ne se limite pas, d’habitude, à un angle de vue d’un objet. En nous déplaçant dans notre environnement, nous voyons les choses sous différents angles de vue. On ne peut voir un objet, une installation, ou une sculpture qu’en tournant autour. L’esprit reconstitue, à partir d’une multiplicité de vues, une image de la forme objective, tridimensionnelle de l’édifice en question.


Ma recherche artistique s’intéresse aux différentes sphères et aux relations qu’entretiennent entre eux sur le plan philosophique la frontière entre l’objet et le non objet, l’intérieur et l’extérieur, et sur le plan visuel, les relations entre l’espace bi- et tridimensionnel. La représentation de cette tension entre la trace et le plan vide du fond.


Le vrai contour se constitue par ses caractéristiques tridimensionnelles les plus descriptives. Cette conception du contour témoigne de ses liens véritables avec les multiples expériences charnelles, sensuelles, en un mot, réelles, qui ont pu avoir lieu dans la vie d’un individu.

Les traces, les contours, les images et les formes perçues précédemment se mélangent dans la mémoire et se confondent avec l’image actuellement présente pour faire naître une nouvelle image synthétique.

La proportion entre les traces de la mémoire et celles de l’image actuelle perçue est fluide et dépend de la force de l’épreuve passée conjuguée à celle de l’impact esthétique instantané. Ainsi l’esprit est capable d’établir des relations spatiales entre l’intérieur et l’extérieur ou entre différents intérieurs.


J’aime intégrer dans mon travail plusieurs éléments, même contradictoires, qui vont former une entité formelle, une œuvre à plusieurs aspects. Pour moi, l’aspect le plus intéressant de l’œuvre c’est la multitude de significations qui permet aux différentes interprétations, différentes découvertes grâce à la forme et à la métaphore qu’elle comporte. 


Dans l’image bidimensionnelle on découvre des mêmes règles structurales que dans l’espace de trois ou quatre dimensions. « Les éléments s’intègrent dans l’ensemble qui commande leur équilibre et explique les parties. La forme, structure, est une organisation dont chaque élément n’existe que par son rôle dans l’ensemble. La psychologie de la forme, fondée au début du XXème siècle par trois psychologues berlinois : Wertheimer, Koffka, Kölher, est a l’origine des conceptions unitaires de l’organisme, des nouvelles théories sur l’intelligence et la mémoire (les souvenirs obéissent aux lois de la forme : on s’en souvient d’autant mieux qu’ils sont organisés en un tout significatif). »* Il est intéressant de voir que cette vision se trouve déjà dans le Nouveau Testament. « De même, en effet, que le corps est un, tout en ayant plusieurs membres, et que tous les membres du corps, en dépit de leur pluralité, ne forment qu’un seul corps.» « Aussi bien le corps n’est-il pas un seul membre, mais plusieurs. »**


Chaque trace est convenablement suspendue, dans l’espace. La superposition des couleurs, des traces produit l’accumulation de tensions.

« Dans un espace bidimensionnel, lorsque deux surfaces sont également qualifiées pour tenir le rôle de « figure », une rivalité s’ensuit. Tout les deux ne peuvent être figure à la fois. (…) Des espaces « négatifs » ne peuvent être consciemment perçus comme des formes que si l’observateur produit un effort subjectif suffisant pour forcer la structure à s’inverser. De cette façon seulement, le fond peut devenir forme pour un moment. C’est ainsi que les artistes évaluent et contrôlent l’influence de ces espaces négatifs qui contre balancent les formes positives comme une sorte d’antimatière perceptive (…). Sans le contre poids de ces espaces négatifs, les formes positives seraient dépossédées de toute force de cohésion. (…) Les formes perçues comme des figures sont maintenues en place et la puissance de leur influence est définie par les forces issues du fond. Leur interaction atteint l’équilibre nécessaire à la lisibilité de l’énoncé pictural. Il est également vrai que les forces issues de la figure n’acquièrent leur puissance véritable qu’en présence de leurs antagonistes issus de l’espace environnant. »***

Cette relation entre la forme, la figure, l’objet, le fond et l’espace est dans mon travail très importante. La dynamique des objets perceptifs, leur mouvement, le combat perceptuel entre le signe et le vide fondent une structure vivante. Dans mes installations j’invite le spectateur à jouer avec sa propre perception, à découvrir la richesse des interactions entre les différents composants et sur le plan conceptuel, à découvrir grâce aux métaphores, le multi-sens de l’œuvre.


Pour conclure, grâce à la recherche artistique, j’aimerais approfondir mes connaissances et mes expériences sur les sujets que je viens de décrire. Faire une analyse profonde de l’œuvre artistique et sa relation avec les spectateurs. Réaliser une œuvre de synthèse qui va réunir et manifester mes études et ma réflexion.


Wela / Elisabeth Wierzbicka

Paris, 2001

 

 

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*Dictionnaire de la psychologie, 1965, Larousse

**Nouveau Testament ; 1, lettre de St. Paul aux Corinthiens, 12.12, 12.14

***R. Arnheim, Dynamique de la forme architecturale, 1977