Le sujet lyrique est un sujet qui meurt. "Le cygne flotte double, le cygne et son ombre", écrivait Wordsworth. Quand le premier s'expose, il attend de mourir à la faveur du contre-sujet qui le supplantera. "De quoi te souviens-tu, Cycnos, de quoi te souviens-tu ?" (Nicolas Vatimbella). Le sujet suivait le premier, qui, l'ignorant, mourut. Tel est l'univers des signes ; que le premier signifiant doive mourir et que le second doive grandir comme une ombre. Nous rendons hommage aux morts, c'est certain, mais nous disparaissons devant eux, parfois à l'occasion d'un chant. Les "livres de formes" de David Clerc, Katia da Silva, Xavier Verhoest, Anders... annoncent un tel chant élevé sur champ de ruines. Le sujet lyrique est d'emblée une mélodie, un trait de violon ou un fil de voix échappé d'une peinture... sujet lyrique qui doit suivre son ombre. Telle est la vocation de l'ombre à devenir sujet, à la fin. Serait-ce une voix intérieure ? La "voix intérieure" (innere Stimme) demeure guide et chemin dans la recherche musicale autant que philosophique. La "Stimme aus der Ferne" (dans l'exemple des Novelettes de Schumann, op. 21), est une voix qui doit être entendue depuis un lointain dedans. Depuis l'une ou l'autre de ces voix (celle, intérieure, celle paraissant plus extérieure), nous cherchons toujours, en dramatisant l'éparpillement du donné, à déceler ce qui rapproche la présence de son ombre.

 

E. Beauron & O. Capparos

 

 

sommaire