Voici l'ombre de l'arbre qui protège mon ciel






par Matthieur Freyheit




1.
O calme tends la main que j’aime, ô amour, que j’entendis ta voix tout le jour, voici le vent serein qui m’emporte par-delà la falaise et la mer
O calme tends la main que j’aime, ô amour, que je pense, que je pense tout le long du jour, voici la voix sereine qui me parle tout le long du jour
Voici la calme vague qui apaise mon cœur, et l’horizon lointain qui souffle encore ta peau, voici l’ombre de l’arbre qui protège mon ciel
O calme tends la main que j’aime, ô amour, tends la main que je sens étendue sur mon corps, voici l’après-midi, chaude et attentive
C’est le temps qui s’étire, et qui dort, et apaise mon ventre, comme une certitude, c’est le temps qui affirme, et assure
O calme tends le temps que j’aime, tissé de longues heures, et de chaleur, et de savoir, ô amour, approche de mon cœur, je rêve
La belle voile au loin se gonfle sur les eaux, et voilà mon orgueil lancé tout après toi, certain de la rencontre, et de la bonne route
Voile ! flots ! je suis l’amoureux, calme, et j’attends, car le temps me réchauffe, j’attends la main que j’aime, serein je reste là
O calme ô temps, ô mon amour, c’est l’arbre sous lequel je chante et sous lequel j’attends, et sous lequel je dors le front comme un grand ciel
O calme ô temps, ô mon amour, c’est l’arbre qui attend et qui gonfle ses branches, c’est l’arbre dont la voile me repose ici-bas
O mon amour je chante le chant de Xerxès, comme le calme demeure, tu ne sais pas, mais j’attends, tant que le calme demeure, ah ! mon chant

2.
Je suis le sable je suis le vent qui emporte le sable et le vent qui dépose le sable je suis le territoire et la fin du territoire la terre et le vent qui emporte la terre
Je suis le sable et je suis le vent je suis la terre et je suis la pluie qui pèse en boue et le soleil qui sèche je suis le sable et le vent qui emporte le sable
Je suis le sable et la mélodie du sable je suis la reconnaissance du sable devant la terre et le foyer du sable et le sommeil du sable dans la jarre
Je suis le sable et je suis la poussière du sable je suis le sable et le voyage du sable je suis le territoire prolongé du sable le territoire éternellement prolongé du sable
Je suis le sable et l’horizon de sable je suis le vent qui emporte le sable et le vent qui emporte l’horizon du sable je suis le sable et la pérennité du sable
Je suis le sable et je suis le vent qui soulève le sable je suis le sable et la tempête de sable je suis le sable emporté sur un territoire infini je suis le sable qui recule la forêt
Je suis le sable et la mélodie du sable je suis le sable et la guitare sèche et la voix emportée je suis le sable des jours et le sable des nuits je suis le sable et la mélodie du sable
Je suis le sable et le voyage du sable je suis le vent et le pèlerinage du sable je suis la cathédrale plane et lisse du sable la cathédrale déposée du sable
Je suis le sable et la jarre du sable je suis le reposoir pour le sommeil du sable et je suis le territoire démesuré du sable le territoire pour la course du sable
Je suis le sable et le vent qui soulève le sable je suis le vent et la naissance du sable je suis le sable et l’étendue du sable je suis le sommeil et l’attente de la cathédrale je suis la jarre du sable
Je suis la fuite et la demeure je suis la fuite sans exil chaque jour de voyage prolonge le désert chaque avancée nouvelle renouvelle la steppe
Je suis la fuite sans danger je suis le corps sans besoin d’amis je suis la parole sans besoin d’entente je suis la fuite et le village celé et l’abdication de la terre
Je suis la fuite et je suis la demeure en territoire jamais acquis je suis la tangente et le lieu sans rencontre et je suis les amis oubliés
Je suis la touche du corps la chair en devenir je suis les gestes déplacés je suis la fuite des gestes et la main qui s’offre trop tard à la caresse
Je suis la peau dure et sèche et la fuite des désirs je suis les mains vides et sèches et les gestes arrêtés je suis le garçon arrêté et le geste empêché
Je suis la fuite et la demeure du repos sans fatigue je suis le garçon déposé celui de la marche assurée de la marche le garçon déposé de l’avance
Je suis la fuite et la couche apprêtée je suis le drap lisse et tendu je suis le garçon dessaisi et la fuite entourée je suis le départ méconnu
Je suis la fuite recouverte comme la course empêtrée je suis le garçon renoncé et la course fléchie je suis la fuite en la demeure
Je suis la partance continue et le continuel résigné comme je suis la fuite les jambes reposées je suis la démission emportée comme je suis le dédit du balayé comme je suis le garçon renoncé

3.
Sans aucune aventure sans aucun navire et sans lanterne sur aucune barque je suis disposé à m’engager même sans rame pour ramer je suis désormais disposé
Sans aucune aventure sans aucun navire et sans fanal sur aucune embarcation je suis disposé à m’engager même sans gouvernail pour gouverner je suis désormais disposé
Sans aucune aventure sans aucun navire et sans phare sur aucune berge lointaine je suis disposé à m’engager même sans voile pour avancer je suis désormais disposé
Sur la route suivie sans aucune défense et sans aucune pitance en quelque port de pêche je suis disposé à m’engager même sans ancre pour mouiller je suis désormais disposé
Sur la route suivie sans aucun promontoire pour le recueillement sans quelque couche rude pour l’endormissement même sans une oreille pour l’entendement
Sans aucune demande sans consentement et sans amarre sur aucun horizon je suis disposé à m’engager même sans une voix pour raconter je suis désormais disposé
Sans aucune aventure sans aucune histoire et sans récit dans aucun coffre fort je suis disposé à m’engager même sans une carte pour rechercher je suis désormais disposé
Sans aucune aventure sans palpitement et sans crainte dans aucun tremblement je suis disposé à m’engager même sans un poignard pour poignarder je suis désormais disposé
Sans aucune aventure sans aucun océan et sans un pavillon à quelque mât lancé je suis disposé à m’engager même sans aventure pour m’aventurer je suis désormais disposé

4.
Triste jour et triste vie, triste nuit, et les heures passées à oublier hier, et les heures passées, et les trop longues heures, à oublier demain
Et l’ennui
Triste jour et triste vie, triste nuit par les rues, triste nuit par la ville, par les toits, tristes joies aux fenêtres, et sombres joies du soir
Et l’attente
Triste jour et triste vie, tristes murs et les joies passées à oublier hier, et l’attente passée à attendre les heures
Et la nuit
Triste nuit et triste voile, triste vent et triste chaud du soir, et la ville acquittée à attendre le noir, et les rires à entendre jusqu’au-dessus des toits
Et le froid
Et le noir sans le noir, et la nuit sans la nuit, et le soir sans le soir, et les rires et la vie, et le jour même ne parle que de la nuit

5.
Fond de terre où je crache – chien rat cochon – fond de terre où me happe qui écrit sur la peau dans la maison il est tard quand je ne me couche pas
Passé à l’épée au fil suspendu par son frère tombant dedans ses bras – buffle – pourquoi j’aime tes dents ta bouche la caverne où gronde le bruit
Je nageais dans les eaux maintenant j’amasse la terre – serpent mangouste – un œil rouge dans le sable qui échappe au rappeler qui mord dessous le lit
Présent face aux deux yeux aux deux poings – lièvre cochon rat – j’ai lu je ne mourrai pas je ne mourrai jamais tant que toi
Tant que sable s’amasse creuse mon ventre dans la terre pour jaillir du sable je suis le train du gravier et les paumes opposées – rat scorpion
Passé à l’épée noyé broyé demeuré racolé pour être à deux je suis la traversée de l’erg l’œil du dehors de la terre
Je vois en face mon globe de terre – bouc – prêt à combler les fleuves de dunes d’ébats sans symboles seuls les signes de tes doigts de mes doigts te happent mon œil
Ton œil dans ma boue tâche et sèche ma joue plonge ta main dans l’amphore que je porte rêves et cauchemars d’un village étrange – lièvre buffle
Village de mineurs de creuseurs de pelles de pioches d’ongles de vagues de brumes de tombes d’une brèche ouverte fermée la terre solide fait marcher ses passagers
Je marche sur les signes des doigts pour écraser concasser le sable en blocs en croûtes à entasser autour de mon globe de terre
Quelle caverne tu pénètres trois coups de peau tendue suffisent à m’emporter plus loin que les navires vers la terre où rien ne peut voguer
Je suis meurtrier sur les toits la nuit – serpent cochon – marche nage la terre que je façonne des signes de mes doigts
Rat scorpion – ablution de boue – buffle singe crapaud – ablution de boue et tempête de sable – rat cochon mangouste – ablution de boue tempête de sable et roche sur la peau
Ablution de boue et tempête de sable et source de terre que je façonne des signes de mes doigts je ne me dérobe pas je ne mourrai jamais

6.
Adieu ma ville, vous m’avez tous oublié jusqu’aux les pavés de tous les jours alors adieu par le fond, adieu par la main
Adieu l’œil à la porte la main à la fenêtre les mollets à l’entrée du parc et ma gorge aux terrasses des cafés et sur les marches de la place adieu
Je sens bien quelque chose d’un accordéon marin qui appelle à voix vive sous l’eau, la voleuse de mes comètes ahurissantes
Mon crâne sous le ciel bleu et mes narines près des roses tandis que je serai bientôt froid comme une brume de novembre
Froid comme un noyé de mille ans, comme l’harmonica qui dans le port dit avoir un mal d métal à chaque trou rempli d’air
Froid et calme comme une épave, aux fonds qui me happent je reste silencieux, aux fonds qui m’embrassent comme si j’étais beau
Comme si mon corps méritait la chasse de ceux qui luttent et percent le léviathan, crèvent des années passées à chercher
Etre une prise aussi belle ! et mériter de voir se libérer les cris, se dérouler les muscles, se lancer les harpons vers ma peau fine
Aussi profondément que m’éclate le cœur au sel de la mer, que rejoigne mon corps le flanc du chalutier pour nourrir une nuit les requins
Fruit de la mer tandis que vous là-bas sur le rivage troublez le monde de l’alcool que j’aime et que je voudrais boire encore
Buvez fort et vite et buvez bien pour que s’oublient les souvenirs et sur les tables dansez fort à faire tomber les lampes, à faire briser les verres
Et tout le bruit dans une nuit tandis que je bois moi aussi je bois et je chanterais même du fond des eaux les chansons des tavernes les chansons des voyages jamais imaginés




Matthieu Freyheit




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